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Ma démarche 2.0

 

Mon travail s’inscrit dans notre temps, il revendique son appartenance au 21e siècle. Et justement, notre modernité met à la portée de tous des outils multifonctionnels et hyper-performants qui accélèrent notre quotidien en révolutionnant la communication et le traitement de l’information. L’extension des réseaux sociaux ouvre l’ère de l’instantané dans le lien social. Aujourd’hui, le smartphone est emblématique de ces transformations prodigieuses. C’est un organe qui devient une extension de notre corps individuel vers le corps social. La pratique de la photographie s’en trouve bouleversée, c’est un fait. Elle devient capable de produire immédiatement un langage universel qui, à tout moment et de n’importe où, peut toucher n’importe qui. Chacun devient donc, qu’il le sache ou non, acteur de ce langage. Mais ce langage se vide d’être pure information. Sur Instagram, par exemple, le flux des photos inonde le réseau en attente de like, avant de disparaître. On y déverse ses selfies et les images de son repas, de son intérieur, de ses amis, de ses enfants, de ses animaux de compagnie, d’un paysage, etc., avant de les oublier. Chacun se met en scène et se donne à voir dans une liste à la Borges. Bref, la contingence des réseaux sociaux s’offre au regard immédiat, avant de sombrer dans l’oubli.

 

Ma démarche s’enracine là entre autre : prendre l’outil banal qu’est le smartphone pour regarder et photographier ce qui ne se donne pas à voir, en créant mon propre langage pour l’inscrire dans une certaine durée. Le smartphone banalise l’usage de la photographie et met particulièrement en relief que cequi fait la photo, c’est la singularité du regard. Avec le smartphone, j’utilise un objet contemporain paradigmatique comme un ready-made : j’en détourne l’usage habituel. Il s’agit de prendre le temps de faire des photos (certaines ne dédaignent pas une certaine référence académique) et de les basculer sur les réseaux sociaux pour en trouer le vide que le flux usuel des images banales laisse derrière lui. La composition de mes photos vise donc à subvertir le principe même des images 2.0.

  

En réalité, tout mon travail porte sur les conséquences de la disparition . Celle-ci traverse les séries présentées ici.

 

Ainsi, les photos de la série « Énigmes » sont centrées sur le manque et jouent sur la disparition de l’objet ou du sens. Leur titre – ce sont justement les seules photos qui ont un titre – commente précisément ce manque par l’usage singulier et équivoque de la langue.

 

Dans la série des « Lieux », la disparition porte sur l’estompe de tout élément anecdotique, historique, identificatoire, nominatif, temporel. Les lieux se dépersonnalisent, se déterritorialisent, s’«intemporalisent», pour mieux laisser filtrer l’essence de ce qui leur manque.

 

Enfin, dans la série des « Portraits et Féminité », même principe : la disparition porte sur l’effacement du visage ou l’élision d’une des parties du corps. La féminité surgit de la coupure qu’opère le cadrage en morcelant le corps et en valorisant une poétique du détail. Par l’exposition d’un détail isolé, le corps féminin peut alors s’imaginer tout entier : par le découpage, il retrouve son entité ; par le fractionnement, il s’évoque et se reconstitue. Le découpage métonymique du corps, loin de l’altérer, permet de l’imaginer.

 

Le noir et blanc accentue les formes, les lumières, les ombres. Il permet de jouer sur les tons et les contrastes. Il sublime l’image et la rapproche de l’épure, du dessin, de la peinture. Il la sort sciemment de notre temps. J’essaye ainsi de saisir la puissance des ombres que fait apparaître la lumière. Car, par une sorte de chiasme, les ombres font en retour apparaître la lumière. J’aime que la lumière dessine les contours de l’objet qu’elle isole, se fasse crayon. Je l’envisage non plus comme la condition de la vision, mais comme un filtre qui transforme la réalité, l’informe et la déforme.

 

Quelques-unes de mes influences, en vrac :

Faulkner pour la lumière qu’il écrit si précisément, Flaubert et ses anti-héros, Mallarmé et sa déconstruction du texte, Apollinaire et ses calligraphies ;

Larry Sultan, qui fait la part belle au quotidien ;

Marcel Duchamp, Man Ray, Beuys, Saul Leiter,  Gerhard Richter, qui créent, chacun, une esthétique de la beauté, une réflexion intimement liée à la métaphore;

Francheska Woodman, Sarah Moon, Sophie Calle, Louise Bourgeois, Gabor Osz, Meyerowitz, Höfer, Sugimoto et Marguerite Duras pour leur rapport à la féminité, au vide, au silence, au manque, à l’absence, au néant, à l’immobilité.

Tous travaillent à leur manière sur le plein du vide.

Et puis, Lacan pour son génie de lalangue, qui illumine le rapport au langage.

Tous droits réservés:  ©sylvieaflalohaberberg

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